Idée reçue #2 : Le livre était mieux

Réflexion sur l'adaptation filmique
image tirée du film Le Monde de Charlie montrant le protagoniste

Dans la série d'articles « Idées reçues », je parle de divers clichés et lieux communs, en tentant de les comprendre et de voir plus loin que les stéréotypes qu'ils présentent.
Cet article porte sur l'adaptation de livres en films, et sur cette tendance que nous avons à penser que le livre est toujours meilleur que le film. Je dis « nous », parce que j'ai été et je suis encore souvent coupable de penser comme ça — j'ai même hésité un jour à acheter un pin's qui disait « The book was better » — même si j'essaie de me défaire de cette façon de voir les choses. Je tenterai donc ci-dessous de comprendre pourquoi nous sommes si peu indulgents, de défendre le fait de donner une chance aux adaptations, et de réfléchir à ce qui fait une « bonne » adaptation (en donnant quelques exemples de films adaptés de livres que j'ai adorés).

C'est forcément mieux dans ta tête

La première chose que je trouve intéressante par rapport à cette réaction récurrente face à l'adaptation, c'est à quel point elle me semble logique d'un point de vue psychologique. Lorsque tu va voir un film adapté d'un livre que tu as lu et aimé, tu l'as probablement déjà imaginé. Que ce soit l'image mentale de quand tu lisais le livre, ou la manière dont tu en as peut-être imaginé l'adaptation filmique, il est logique que ce que tu avais vu dans ta tête te semble meilleur, puisque tout était exactement comme tu l'avais voulu. En réalité, les attentes que tu te crées ne pourraient être satisfaites que si tu adaptais le film toi-même, puisque tout le monde lit, pense, et imagine différemment... Donc, il me semble logique que si on regarde un film en le comparant aux images mentales que l'on s'était faites, le film paraisse mal fait et mal adapté, et qu'on ait l'impression qu'il ne « respecte » pas le livre : ce qu'il ne respecte pas, c'est peut-être surtout l'idée personnelle qu'on s'était créée en lisant le livre.

(In)fidélité : y a-t-il un juste milieu ?

Soit le film prend trop de libertés par rapport au livre — ce qui sert à prouver la supériorité du livre, qui nous est plus familier — soit il est trop fidèle au livre, et il n'est donc pas intéressant. Il est difficile de trouver un juste milieu qui plaira aux lecteurs, ou en tout cas à tous les lecteurs, et on reprochera presque toujours au film qui adapte une oeuvre connue et appréciée de pêcher d'un côté ou de l'autre, le plus souvent de celui de l'infidélité. Les gens qui ont lu et aimé un livre se réjouissent de retrouver les passages et les personnages qu'ils ont aimés à l'écran, alors si les éléments qu'ils ont appréciés changent, ils sont déçus.

La question de la fidélité dans l'adaptation au cinéma n'est pas nouvelle. Je trouve pour ma part qu'il est dommage de juger un film par rapport à sa fidélité à l'oeuvre qu'il adapte, et je pense qu'il est important de considérer le livre et le film comme des oeuvres distinctes et indépendantes, qui peuvent avoir leur différences et que l'on peut juger séparément. Personnellement, je préfère même souvent lorsqu'un film qui adapte une oeuvre (re)connue ne tente pas d'être trop fidèle, et qu'il montre un style original, en apportant quelque chose de nouveau à l'oeuvre qu'il adapte — sans pour autant dénaturer complètement l'original. Le cinéma et la littérature sont des arts différents : un film offre des possibilités différentes d'un livre, et il serait dommage de ne pas en tirer profit. De plus, ce film est le plus souvent réalisé par une autre personne que celle qui a écrit le livre, et il serait dommage de ne pas entendre la voix ou entrevoir le style de ce nouveau créateur. Plus que des simples choix pratiques — c'est l'argument que l'on entend souvent en défense des infidélités dans les adaptations : il ne pouvaient pas techniquement faire pareil que le livre, et les différences viennent de là — le réalisateur peut aussi faire des choix esthétiques, qui pourront lui permettre de se démarquer, et faire que l'on apprécie son film non pas seulement parce qu'il nous a permis de voir à l'écran ce que l'on a aimé lire, mais parce qu'il nous a permis de le voir d'une manière nouvelle et originale.



Cinéma et littérature

Il y a des gens qui disent qu'ils n'aiment pas les adaptations de livres, et que c'est forcément une mauvaise idée — un peu comme les deuxième films qui n'étaient pas prévus. Mais en fait, ce qu'ils ne savent peut-être pas, c'est que beaucoup plus de films qu'on ne croit sont des adaptations : depuis ses débuts, le cinéma a puisé dans la littérature. Mais pas seulement dans les grands livres connus : il arrive que le livre adapté soit si peu populaire que l'on n'est même pas au courant qu'il s'agit d'une adaptation, parce que le film éclipse le livre original. Par exemple, est-ce que tu savais que Die Hard était une adaptation ? Hitchcock avait pour habitude d'adapter des romans peu connus et qu'il considérait comme un peu « médiocres » pour en faire ses grands films (comme il l'a affirmé lors d'interviews avec Truffaut en 1967). Ainsi, en plus de l'adaptation de livres connus et classiques, on adapte des romans que moins de gens connaissent pour en faire des films connus. Dans les cas où le film devient plus « culte » que le livre, l'idée reçue selon laquelle une adaptation sera toujours moins bonne que le livre qu'elle adapte prend du plomb dans l'aile. Hitchcock a dit qu'il ne s'attaquerait jamais à un classique reconnu, parce qu'il s'agit déjà du chef d'oeuvre de quelqu'un d'autre — en sous-entendant qu'il préférait faire de livres médiocres ses chef-d'oeuvres en se les appropriant, plutôt que de s'attaquer à des grands livres reconnus. Personnellement, je pense que les classiques et les livres populaires très lus et appréciés ne sont pas « inattaquables », et qu'il est aussi possible de se les réapproprier.

Trois films adaptés de livres que j'avais lus — et que j'ai aimé quand même

Un long dimanche de fiançailles (Jean-Pierre Jeunet, 2004)

La protagoniste allongée sur une plage de rochers
crédit image : Bruno Calvo 2003 Productions / Warner Bros. France 2004
Un long dimanche de fiançailles, adapté du roman de Sébastien Japrisot, semble affirmer dès le début qu'il n'a pas pour but d'être parfaitement fidèle au livre, en différant de ce dernier même dans certains détails. C'est ça qui m'a plu : j'ai eu le plaisir de découvrir quelque chose de nouveau, alors que j'avais déjà lu et apprécié le livre. Comme les autres films de Jean-Pierre Jeunet que j'ai vus, j'ai adoré Un long dimanche de fiançailles, et il reste pour moi un bon exemple de ce que j'aurais envie de voir dans une adaptation. Cela ne fonctionnerait évidemment pas, ou en tout cas pas de la même manière, avec un autre livre ou un autre cinéaste, mais j'ai apprécié de percevoir clairement la « patte » du réalisateur dans l'adaptation, sans que le livre ne soit dénaturé. Pour moi, même si le livre est réinterprété, il n'est pas seulement utilisé comme toile de fond comme il aurait pu l'être, et son discours reste très présent. Ainsi, ce film atteint une sorte d'équilibre entre le style du réalisateur et la voix de l'auteur du livre qui fonctionne, et que j'aime beaucoup.

Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban (Harry Potter and the Prisoner of Azkaban, Alfonso Cuarón, 2004)

Les trois protagonistes du film avec le château de Poudlard en fond
crédit image : 2004 Warner Bros. Ent. Harry Potter Publishing Rights J.K.R.
J'ai un gros problème avec les adaptations d'Harry Potter : je connais les livres tellement bien que j'ai du mal à ne pas être dérangée par les différences flagrantes entre ces livres et leurs adaptations, et ce même maintenant que j'ai adopté cette mentalité de voir le livre et le film comme des oeuvres séparées. Pourtant, lorsque j'ai revu le troisième volet de la série, j'ai été bluffée. Ce film est vraiment fait d'une manière qui me plaît, notamment d'un point de vue esthétique. J'aime beaucoup l'ambiance et les couleurs du film, et j'ai été impressionnée par certains éléments formels comme le motif de l'horloge, que j'ai apprécié d'un œil de cinéphile et d'étudiante en cinéma et dont je ne me souvenais pas depuis l'enfance. J'ai suffisamment aimé ce film en tant que film pour passer outre la petite voix qui me chuchotait chaque petite différence avec le livre, ce qui peut être considéré comme un exploit, vu mon rapport à Harry Potter. Alors, même si ce film n'est pas sans défaut, il s'agit d'un bon film, et, qui plus est, d'une bonne adaptation.

The perks of being a Wallflower (Le Monde de Charlie, Stephen Chbosky, 2012)

Le groupe d'amis du film sur les gradins du stade du lycée
crédit image : John Bramley - © 2011 Summit Entertainment, LLC.
Il s'agit d'un cas un peu spécial : l'auteur du livre a réalisé le film. C'est peut-être pour ça que cette adaptation est aussi bonne — il n'y a pour moi rien à redire. J'ai honnêtement aimé le film tout autant que le livre, et je ne pourrais pas choisir lequel des deux je préfère. Je n'ai pas trouvé redondant le fait d'entendre la même histoire racontée plusieurs fois par la même personne puisque le film apporte selon moi une dimension nouvelle au livre : il s'agit au départ d'un roman épistolaire, et le film ne tourne pas autant autour de ces lettres au destinataire inconnu, ce qui nous fait vivre l'histoire différemment. Cette histoire, ce livre et ce film font partie de mes oeuvres Young Adult préférées, et peut-être que j'y suis un peu trop attachée pour en parler objectivement, mais je trouve qu'il s'agit également d'un exemple de bonne adaptation, et dans ce cas-là sans que l'adaptation se « démarque » autant du livre que dans Un long dimanche de fiançailles, par exemple.


Bref, tu l'auras compris : ce que je veux prêcher, c'est de ne pas seulement juger une adaptation par rapport à sa fidélité au livre, ou à l'idée que tu avais forgée à partir du livre, mais de la considérer comme une oeuvre différente, une oeuvre à part entière à laquelle on peut pardonner ses écarts pour en apprécier la forme. Attention : il m'arrive encore souvent de ne pas apprécier une adaptation, et parfois pas pour les bonnes raisons — je suis encore en train de me défaire de cette tendance à toujours trop juger le film à partir du livre. Je tiens aussi tout de même à dire que toutes les adaptations ne sont de loin pas bonnes, et il m'arrive de me dire que les créateurs d'un film auraient mieux fait de s'abstenir parce que j'ai l'impression que l'on ne fait pas honneur à un livre que j'ai aimé. Malgré tout, je pense qu'il faut donner une chance aux adaptations, et tenter de comprendre ou d'apprécier leurs infidélités avant de les mépriser.

Question du jour : Et toi, est-ce que tu préfères toujours le livre ? Quelle est ton adaptation préférée d'un livre que tu as lu ?

Salutations entre pages de roman et salles de cinéma,
Emilie


crédit image titre : The Perks of Being A Wallflower - 2011 Summit Entertainment, LLC.

Commentaires

  1. J'ai tendance à préférer ce que je vois/lis en premier ! Les films d'Harry Potter sont bien mais je préfère largement les livres, que j'ai commencé par lire. Comme pour Percy Jackson (bon, les films ne sont franchement pas extras). Mais le Seigneur des Anneaux est largement mieux en film que en livre, peut-être parce que je n'ai commencé les livres qu'après. Comme Monsieur Lamiral va bientôt mourir (le titre est étrange mais c'est très bien), j'ai moyennement apprécié le livre.
    Ton analyse est bonne, je trouve :)

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    1. J'ai lu le Seigneur des Anneaux l'année passée et je n'ai toujours pas vu les films ! J'ai hâte de voir ce que j'en penserai parce que je sais que par exemple, mon copain trouve que les films ont loupé trop d'éléments importants des livres, mais que ma mère m'a toujours dit qu'elle avait adoré les films parce qu'ils étaient exactement comme elle avait imaginé les livres. Du coup, c'est intéressant que tu dises que les films sont largement mieux, c'est un troisième avis !

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  2. Ton point de vue est très intéressant ! Je plaide coupable: il m'arrive souvent d'être déçue en sortant du cinéma si j'ai lu le livre. Je crois que l'imaginaire d'un réalisateur confronté à mon imaginaire, ça ne collera jamais ! Ca doit être la sensation de beaucoup de monde ! L'idéal est peut être de ne plus lire, ou de ne plus aller au ciné voir des films adaptés ^^

    Line de https://la-parenthese-psy.com/

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    1. Ce serait dommage de ne plus lire quand même :')

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  3. Souvent les adaptations m'aident à lire le livre, mais quand j'ai déjà lu le livre et que je regarde le film, certains me déçoivent. Comme Jane Eyre (2011), je trouve que la fin est bâclée et la plupart des passages importants du livre sont vites faits. Souvent, je préfère les séries, car on a jamais la "place" de mettre tout les passage dans un seul film que sur plusieurs épisodes.
    Des bisous.

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    1. Oui, c'est vrai qu'il y a aussi ce problème ! Je crois qu'avec un film adapté d'un gros bouquin il faut toujours faire des choix, et peut-être qu'on n'aurait pas fait les même choix que le réalisateur du film. C'est vrai qu'il y a des séries très bien adaptées de livres ! Peut-être que dépendant du livre adapté, ça fonctionne mieux en série.

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